La moelle est un tissu hautement sensible à l’action des cytotoxiques. L’hématopoïèse impliquant des mitoses nombreuses en permanence, on comprend aisément que le maniement des cytotoxiques conventionnels, dont le mécanisme d’action repose par principe dans l’interférence avec la division cellulaire, nécessite une surveillance rigoureuse des différentes lignées sanguines. Soulignons que tous les cytotoxiques n’ont pas le même risque toxique sur la moelle osseuse.

Il s’agit de la lignée requérant la surveillance la plus scrupuleuse. Le nadir des leucocytes apparaît en général 7 à 10 jours après la cure de chimiothérapie. Cela correspond à la demi vie des éléments libérés par la moelle juste avant que celle-ci ne subisse l’action des produits de chimiothérapie.

Le taux des leucocytes doit être contrôlé avant chaque cure de chimiothérapie. En cas de réserve jugée insuffisante (taux de leucocytes : 1 500 éléments / mm3), l’oncologue peut alors choisir d’adapter les doses de chimiothérapie, ou plus généralement de reporter la cure. Une chute des leucocytes entre les cures de chimiothérapie est un événement prévisible et attendu. Il n’est pas nécessaire de surveiller de manière systématique la NFS entre les cures. En revanche, une NFS doit être pratiquée en urgence en cas de fièvre, celle-ci étant définie comme soit une température centrale : 38.3°C, soit : 38.0°C à 2 reprises avec un intervalle d’au moins une heure, soit par l’existence de frissons.

On doit distinguer plusieurs situations :

– soit le taux de leucocytes est inférieur à la normale, mais avec un taux de polynucléaires neutrophiles > 500 / mm3. Dans ce cas, le patient doit être examiné et une antibiothérapie sera instaurée en fonction des constatations cliniques. Elle ne doit pas être systématique dans cette situation (rappelons que l’état fébrile peut s’expliquer par d’autres phénomènes qu’un état infectieux : lyse tumorale, événement thrombotique, activité du cancer). L’hospitalisation n’est justifiée qu’en cas de mauvaise tolérance clinique, mais doit être évitée autant que possible car elle peut exposer un patient fragilisé sur le plan immunitaire à des germes hospitaliers, par nature plus résistants aux antibiotiques.

– soit le taux de polynucléaires neutrophiles est inférieur à 500 éléments / mm3. Dans ce cas, on parle alors de neutropenie fébrile. Si une prise en charge ambulatoire peut s’envisager dans certaines circonstances très spécifiques, il convient dans la plupart des cas d’hospitaliser le patient en urgence en unité d’hospitalisation conventionnelle, en chambre seule, sauf s’il existe un état septique sévère justifiant un transfert en réanimation d’emblée. L’antibiothérapie est systématique, guidée par la clinique. Le bilan initial est souvent négatif, l’examen clinique souvent pauvre notamment du fait de l’absence de globules blancs, ne permettant pas la constitution de pus ou la réaction habituelle des tissus lors d’une agression infectieuse. Le patient sera étroitement surveillé afin de ne pas méconnaître une évolution vers un état de choc septique qui, dans cette situation, peut être rapide. La durée de la neutropénie est habituellement inférieure à 7 jours.

Dans le cas où une NFS est effectuée à titre systématique, et qu’une agranulocytose est mise en évidence (taux de polynucléaires neutrophiles < 500 / mm3), aucune hospitalisation n’est justifiée en l’absence de fièvre. Il est au contraire recommandé au patient de rester à son domicile en évitant le contact avec des proches manifestement porteurs d’une infection.

Les facteurs de croissance des lignées blanches (G-CSF, GM-CSF) peuvent être utilisés en prévention primaire ou secondaire des neutropénies fébriles. Il existe des formes en une seule injection après le J-0 de chimiothérapie et des formes en injection quotidienne au nadir du taux de leucocytes (entre le J-6 et le J-12 du cycle de chimiothérapie). Ils peuvent être utilisés dans certains cas en curatif, lors d’une neutropénie fébrile. Ils ne doivent pas être utilisés lors d’une association radio-chimiothérapie concomitante.

Les vaccinations restent tout à fait possible lorsqu’un patient est en cours de chimiothérapie. Il convient néanmoins de choisir le moment optimal au regard du risque de lymphopénie chimio-induite, donc idéalement au moins 3 semaines avant la cure de chimiothérapie.

De même, des extractions dentaires restent tout à fait réalisables si elles ne peuvent attendre la fin du traitement. Il faudra là encore synchroniser le geste avec les cures de chimiothérapie : le risque est minimisé si les extractions sont réalisées juste avant la cure, le temps de cicatrisation correspondant grosso modo à la durée de vie moyenne des leucocytes. Il faut éviter de les faire autour du J-7 à J-10 (période de neutropénie).

L’anémie est un phénomène fréquent, expliquant une partie de l’asthénie ressenti par les patients. Elle en constitue que rarement un phénomène limitant.

L’utilisation d’érythropoïétine peut être utile dans certaines situations, mais, au regard des données de certaines méta-analyses, il vaut mieux en laisser l’instauration à l’oncologue référent du patient.

Les transfusions sanguines doivent être utilisées à bon escient. Le seuil transfusionnel dépend de plusieurs facteurs tels que la tolérance clinique, l’évolution prévisible de l’anémie, les antécédents cardio-vasculaire.

Certaines chimiothérapies sont plus thrombopéniantes que d’autres (nitroso-urée, carboplatine, gemcitabine). Une thrombopénie entre 75 000 et 100 000 éléments / mm3 conduit le plus souvent à un ajustement des posologies de chimiothérapie. En dessous de 75 000 / mm3, la cure est en général reportée. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de facteurs de croissance des thrombocytes disposant d’une AMM. En cas de thrombopénie inférieure à 20 000 / mm3, une transfusion plaquettaire doit être discutée. La survenue d’une thrombopénie chez un patient sous anti coagulant peut faire discuter la poursuite de ce traitement. Il impose alors de considérer l’indication du traitement, la durée prévisible et la profondeur de la thrombopénie, le risque hémorragique propre au patient. D’une manière générale, il convient de rappeler qu’une thrombopénie limite le risque de formation d’un caillot sanguin mais n’accélère pas la lyse d’un caillot déjà formé.

On distingue classiquement les nausées, les vomissements et les efforts improductifs de vomissement, que l’on classe en aigus (le jour de la chimiothérapie), retardés (durant les 3 à 5 jours suivants la chimiothérapie) et anticipés (juste avant la reprise d’une nouvelle cure de chimiothérapie).

Le potentiel émétisant est très variable selon la classe d’agents anti-cancéreux utilisés (cisplatine, carboplatine, cyclophosphamide ainsi que les posologies mais aussi la sensibilité individuelle du patient.

De nombreuses molécules appartenant à des familles pharmaceutiques différentes peuvent être utilisées : anti-histaminiques (diphénhydramine), anti-dopaminergiques (domperidone), neuroleptiques (métoclopramide, aliprazide, chlorpromazine), inhibiteurs des récepteurs 5HT3 de la sérotonine (odansetron), corticoïdes, antagonistes des récepteurs de la substance P (apépritant), benzodiazépines. Ces médicaments peuvent être associés entre eux et il convient de souligner au patient l’importance de prendre le traitement de manière préventive pour plus d’efficacité (ne serait-ce parce qu’il est plus difficile de prendre un traitement que l’on vomit quelques minutes après).

L’association de ces traitements permet de contrôler, dans une grande majorité des cas, la symptomatologie émétisante. Néanmoins, des sensations nauséeuses peuvent persister et favoriser un état d’anorexie.

Il ne faut pas oublier, devant un tableau de vomissements chez un patient cancéreux, d’évoquer certaines étiologies particulières : hypertension intra-crânienne éventuellement en rapport avec des localisations secondaires cérébrales, hypercalcémie.

Les phénomènes diarrhéiques peuvent se rencontrer dans plusieurs circonstances : traitement par 5FU, irinotecan, radiothérapie pelvienne. En fonction de leur origine, plusieurs attitudes peuvent être proposées :

> Les règles de base (mesures hygiéno-diététiques, régulateurs de transit et si besoin anti diarrhéiques, hydratation abondante) restent toujours applicables.

> En cas de diarrhée liée à une irradiation pelvienne (type irradiation de prostate), la diarrhée peut être en rapport avec une rectite radique. Il s’y associe alors des sensations de faux besoins. Une application quotidienne de mousse de cortisone peut être prescrite par le radiothérapeute.

> Certaines diarrhées peuvent être en rapport avec un mécanisme cholinergique (irinotécan). Dans ce cas là , leur survenue est souvent précoce par rapport à la chimiothérapie (dans les premiers jours) et se contrà´le par des anticholinergiques.

La constipation est un problème récurrent, souvent avec des origines multiples : agents cytotoxiques (taxanes), utilisation de morphiniques, alimentation insuffisante, etc.. Il est difficile d’établir des règles générales et il convient à chaque fois d’analyser soigneusement la situation, en écartant un syndrome occlusif.

    Il convient de distinguer deux situations :

    • la mucite liée aux chimiothérapies
    • la mucite liée à  une radiothérapie ORL

Dans le premier cas, la sensation de douleur angineuse va se développer en même temps que la période de leucopénie, c’est à dire autour du 7eme 10e jour après la cure de chimiothérapie.
Dans le second, elle apparaît en général au bout de la 3e semaine de traitement et va persister jusqu’à au moins une dizaine de jours après la fin de l’irradiation.

Les recommandations consistent en premier lieu en des mesures préventives : sensibilisation à une hygiène bucco dentaire rigoureuse, recours à une brosse à dents chirurgicales (ou avec un coton tige et un hydropulseur en cas de thrombopénie inférieure à 30 000 / mm3), bilan spécialisé avant la mise en traitement (extraction des dents à haut risque infectieux, des chicots ou des dents branlantes, détartrage, soins parodontaux, rajustements des prothèses ). Des bains de bouche aux bicarbonates 1.4 % sont recommandés pour limiter le risque de greffe fongique. Le bénéfice d’un traitement antifongique préventif n’est pas clairement établi. Le risque d’interaction médicamenteuse doit être considéré avec des molécules telles que le fluconazole.

En curatif, on adjoindra des antalgiques adaptés au niveau douloureux ressenti par le patient, en n’hésitant pas à recourir si besoin aux morphiniques. Il ne faut pas hésiter à traiter une mycose qui peut éventuellement être décapitée par l’abrasion muqueuse, en pensant à décontaminer les prothèses dentaires et à conseiller le changement de brosses à dents en fin de traitement.
En cas de persistance, il faut savoir aussi évoquer une surinfection herpétique, dont la clinique peut elle aussi être décapitée. Attention en cas de mélange d’un anti fongique avec le bicarbonate (notamment l’amphotéricine B) : le mélange n’est pas stable plus de 24 heures, et doit donc être recomposé chaque jour.

Après radiothérapie, il faudra considérer la nécessité de confection de gouttières de fluoration sur mesure en cas d’hyposialorrhée séquellaire. Elles doivent permettre l’application quotidienne de gel fluoré à 2 % (type Fluocaryl bifluoré) pendant 5 à 10 minutes tous les jours avant de pratiquer un brossage nettoyage des dents (pour éliminer le fluor). Il est préférable de réaliser les gouttières après l’irradiation : en effet, d’une part il va se produire des modifications des gencives après le traitement qui peuvent rendre les prothèses inadaptées. Les gouttières fluorées sont alors mises en place en préventif de cette dégradation. D’autre part, l’hyposialorrhée n’apparaît que vers la fin de l’irradiation. Soulignons que les techniques modernes de radiothérapie ORL permettent dans certains cas de préserver une qualité salivaire acceptable, épargnant le recours aux gouttières.

Il s’agit d’une toxicité relativement fréquente de certains cytotoxiques par action directe sur les kératinocytes. Elle se traduit par un érythème sec des extrémités, devenant douloureux en s’intensifiant, avec des crevasses pouvant grever la qualité de vie des patients.

Le traitement est avant tout préventif : conseiller au patient d’éviter les bains ou les douches d’eau chaude, l’exposition directe au soleil, le port de gants ou de chaussettes très serrés, les travaux manuels agressifs pour la peau (jardinage, bricolage, ménage avec produits ménagers agressifs, les frottements vigoureux ou le port de bijoux serrés. Il convient également de déconseiller au patient l’automédication par des pansements adhésifs ou des bandages, de même que l’application d’anesthésiques locaux. L’application régulière d’un émollient gras ainsi qu’un lavage avec un savon surgras sont recommandés.

Aux premiers symptômes, une cryothérapie locale (bains des mains / pieds dans de l’eau fraîche, vessie de glace) peut être adjointe au traitement émollient. Les corticoïdes locaux n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Une vitaminothérapie B6 à la dose de 100 à 300 mg / j peut être conseillée, notamment en cas de syndrome mains / pieds lié à l’utilisation du 5FU ou de la doxorubicine liposomale pegylée.

Dans tous les cas, il s’agit d’une toxicité réversible à la diminution ou à l’arrêt du traitement en 2 à 3 semaines.

Cette réaction a largement contribué à faire une mauvaise réputation à la radiothérapie. Les réactions cutanées sont devenues bien moins fréquentes avec l’implantation d’accélérateurs linéaires de haute énergie remplaçant les sources de cobalt. Ces réactions restent possibles dans les irradiations superficielles, notamment mammaires, ORL ainsi qu’au niveau des plis inguinaux.

En prévention, l’application d’un corps gras tel que la pommade de Calendula par digestion est recommandée pour limiter l’intensité et la durée des manifestations. Il convient de ne pas appliquer de pommade dans les 3 heures précédant la séance d’irradiation, afin de pouvoir traiter une peau sèche (sans risque d’effet bolus). Il faut aussi conseiller d’éviter le port de vêtements synthétiques au contact direct avec la peau traitée, l’application de parfum ou déodorant alcoolisé. Pour les irradiations mammaires, on peut conseiller à la patiente d’éviter le port de sous-vêtement avec des bretelles risquant d’entraîner un cisaillement dans le sillon.

En curatif, à partir du moment où l’érythème prend une teinte cuivrée et/ou devient douloureux, il est conseillé de recourir à des pommades cicatrisantes (sulfadiazine argentique par exemple), voire à des pansements gel. On prendra garde à éviter la surinfection mycotique, surtout dans les zones de plis (sillon sous mammaire notamment).

Lors de l’application de ces produits, il faut sensibiliser le patient à prendre garde à ne pas effacer le marquage à la peau permettant le centrage des faisceaux d’irradiation (si des points de tatouage n’ont pas été faits).

L’alopécie est une réaction emblématique aux agents anti cancéreux. Cependant, quel que soit le protocole de chimiothérapie, il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’une réaction systématique. Elle est très fréquente avec les taxanes, la doxorubicine, le cyclophosphamide. L’alopécie chimio-induite débute dans les 20 jours suivant la première cure, et devient complète dans les 2 mois.

En prévention d’une telle réaction, il faut en premier lieu informer le patient. Il est conseillé de faire couper les cheveux courts. L’investissement dans une perruque peut donner des résultats particulièrement réussis. Il faut néanmoins souligner que les meilleurs modèles sont souvent très onéreux, bien au-delà du forfait de remboursement de la sécurité sociale. Il est donc prudent pour le patient de prendre contact avec sa mutuelle afin de s’informer de sa participation dans cet investissement. Une charte des perruquiers, avec l’annuaires des professionnels y souscrivant, est disponible sur le site web de l’Institut National du Cancer. Un casque réfrigérant peut être proposé au patient lors de la perfusion de sa chimiothérapie. Le principe consiste à limiter la diffusion des produits au niveau du cuir chevelu par l’effet vaso-constricteur du froid. Les résultats sont néanmoins souvent décevants au regard de l’inconfort ressenti par le patient.

L’alopécie induite par la radiothérapie peut être réversible ou non selon la dose déposée à la peau. Elle est réversible pour les irradiations pan-encéphaliques. Pour les irradiations focales, tout dépend de la dosimétrie ; l’alopécie peut alors se manifester sous forme de plaques délimitant les champs traités.

Les modifications des ongles peuvent apparaître avec certains produits tels que les taxanes. Des vernis peuvent être appliqués de manière préventive (Evonail) dès le début de la chimiothérapie jusqu’à  3 mois après la fin du traitement. L’alopécie chimio-induite est toujours réversible. Néanmoins, la qualité du cheveu lors de la repousse peut être moins bonne (plus cassant, moins pigmenté).